• Comment être critique

    La France est un pays où la critique cinématographique a toujours tenu une place importante - il n'est que de penser à Bazin, Truffaut ou encore Daney pour s'en convaincre. Le développement d'Internet permet de poursuivre cette tradition : il existe un nombre important de sites et de blogs parlant de cinéma et proposant des critiques. Mais que ce soit dans les journaux, magazines ou sites souvent, alors qu'on attend des critiques qu'ils éclairent un film, son sens et sa qualité cinématographique, ceux-ci se contentent d'une simple description inutile du scénario et/ou de jugements à l'emporte-pièce sans autres arguments qu'un "j'aime/j'aime pas". Dans ces conditions, on peut être tenté de partager l'énervement du personnage d'Isaac Davis interprété par Woody Allen face aux phrases péremptoires de Mary (extraordinaire Diane Keaton) dans Manhattan...

    Ne pas se contenter du synopsis

    Se contenter de résumer l'histoire d'un film est un non-sens pour un critique digne de ce nom. En effet, contrairement à ce que pensait Jean Gabin, un film pour être réussi ne doit pas seulement posséder "une bonne histoire, une bonne histoire, une bonne histoire". Il suffit de comparer deux films ayant le même scénario pour s'en rendre compte. Par exemple, si le roman Celle qui n'était plus de Boileau-Narcejac a été adapté avec brio par Henri-Georges Clouzot en 1955 dans Les Diaboliques, Jeremiah S. Chechik crée en 1996 un remake, Diabolique, qui n'est pas bon, ce que confiera d'ailleurs Isabelle Adjani qui a joué dans le second. 

    Les Diaboliques, H.-G. Clouzot vs Diabolique, J. S. Chechik

    Un certain nombre de films pouvant être considérés comme des chefs-d’œuvre ont une histoire qui sur le papier semble peu intéressante. Ainsi, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles réalisé par Chantal Akerman en 1975, montre-t-il, durant un peu plus de trois heures, trois jours de la vie d'une jeune veuve mère d'un adolescent de seize ans. Akerman filme longuement les rituels du quotidien, de la préparation des pommes de terre à la vaisselle en passant par le tricotage en écoutant La Lettre à Élise. Ce sont les très longs plans fixes, souvent silencieux qui permettent de rendre tangible l’aliénation que vit cette femme, et donc de créer une expérience cinématographique unique.

    Or souvent les critiques se contentent d'un résumé de l'histoire. Alex Masson, critique à Radio Nova, Première,... explique que vu le nombre de sorties par semaine "faire un cahier critique dans lequel on traite toutes les sorties, c’est devenu très compliqué. Quand [il a] démarré [il y a plus de vingt ans], les critiques de un ou deux feuillets [un feuillet = 1500 signes], c’était à peu près la règle. Aujourd’hui c’est 350, 500, 1000 signes. En gros c’est : 300 signes de résumé, puis une petite anecdote, et éventuellement trois mots pour dire ce qu’on en pense. Autrement dit, désormais, le cahier critique n’a d’intérêt qu’informatif, pas pour donner une opinion. Ce qui aboutit à ce que des journaux disent : ''Ce film-là va sortir sur tellement peu de copies, que ça ne vaut pas la peine qu’on en parle''. Ou pire encore : Première a récemment mis en place une colonne pour traiter les films que le responsable du cahier critique estime dispensable en 170 signes. C’est totalement contre-productif quand ça dit littéralement qu’un pan entier de cinéma n’a pas d’intérêt. Au-delà de penser à la place du lecteur, et donc le prendre pour une truffe, ça va à l’encontre d’une fonction critique fondamentale : l’ouverture d’esprit, pousser les spectateurs à la curiosité. Sans compter ce que ça implique pour les "petits" films d’auteur - puisque ce sont eux qui sont clairement visés - qui auront encore plus de mal à trouver de la place dans un journal grand public".

    Aimer ou pas un film a-t-il une valeur esthétique ?

    Autre travers présent dans de nombreuses critiques : elles sont bonnes ou mauvaises uniquement en fonction des gouts de celui/celle qui écrit. Or, dans l'introduction de son ouvrage Pourquoi aime-t-on un film ?, Alessandro Pignocchi en 2015 rappelle : "Face à la pluralité des réactions que suscite un film, on peut être tenté d'adopter la maxime ''à chacun ses goûts" : l'appréciation d'une œuvre d'art ne dépendrait que de la réaction subjective du spectateur [...] Dans la mesure où celui-ci ne saurait se tromper sur ce qu'il ressent, tous les avis, du moins s'ils sont sincères, se vaudraient.

    Cette position pose cependant de nombreux problèmes, le principal étant qu'il arrive de reconnaitre nous êtres trompé dans nos jugements. [...] Nous avons aussi le sentiment qu'en acquérant des outils d'analyse, en voyant des films, en apprenant à le situer historiquement et à mieux cerner les enjeux, nos facultés d'appréciation et de jugement deviennent plus riches et plus justes ; toutes impressions qui seraient illusoires si la théorie purement subjective était correcte."

    Mais Alessandro Pignocchi ajoute : "Toutefois, la théorie rivale, celle de la "vraie valeur" est encore plus problématique. D'après elle, la qualité d'un film est une donnée objective. Celle-ci pouvant être mesurée avec plus ou moins de précision, un jugement porté sur une œuvre peut être plus ou moins juste. Il serait donc possible d'adorer un film - d'en tirer plaisir immédiat, matière à réflexion, etc.- en ayant tort. Cette conséquence semble suffisamment contraire à l'intuition de beaucoup d'entre nous pour rejeter la thèse objective, du moins tant que celle-ci n'aura pas expliqué d’où vient cette intuition erronée."

    Hitchcock interrogé par Truffaut en 1962 pour le livre Hitchcock/Truffaut

    "Essayer d'imaginer comment ça aurait pu être bon ou pourquoi c'était mauvais"

    De ce fait, le critique a une position instable qu'il est difficile de tenir, voire de définir - même si un certain nombre de critiques s'y sont essayés. Romancier et ex-critique littéraire Bertrand Leclair déclare ainsi : "Être critique, c'est se prononcer sur quelque chose de plus grand que soi. Il n'est donc pas question d'autorité. Comme en justice, tout le monde a le droit de témoigner. Mais tous les témoignages ne se valent pas. Le meilleur témoin est celui qui est capable de se décaler, de se décentrer, de se "désaltérer" plutôt que de fuir au désert du conformisme communicant, se désaltérer plutôt que de se laisser aliéner, plutôt que d'anesthésier sa soif dans le culte du moi".

    Et Truffaut explique qu'écrire à partir de 1953 dans les Cahiers du cinéma et Arts a été "une étape [...] plus intellectuelle, car il s'agissait de réfléchir sur les films, de les commenter. D'écrire, quoi ! Il ne s'agissait pas de se laisser saouler par les images, il fallait vraiment analyser le scénario. Ça a été une étape formidablement importante : j'ai commencé à chercher pourquoi les films n'étaient pas entièrement intéressants, pourquoi la première moitié était bonne et pourquoi la seconde partait dans tous les sens. Pour la première fois, au lieu de dire ''c'est bon !'', ''c'est mauvais !'', j'ai commencé à essayer d'imaginer comment ça aurait pu être bon ou pourquoi c'était mauvais. [...] La nécessité d'avoir à analyser son plaisir et à le décrire, si elle ne nous fait pas d'un coup de baguette magique passer de l'amateurisme au professionnalisme, nous ramène au concret et nous situe quand même quelque part, à cette place mal définie où se tient le critique. Le risque, à ce moment, serait de perdre son enthousiasme".

    La Rose pourpre du Caire, W. Allen (1985) ou l'émerveillement face au cinéma

    À ce propos, Jean-Philippe Tessé, critique aux Cahiers du cinéma, précise : "Il n’y a rien de plus vain que la prescription. Mais défendre ou pas un film, ça n’est pas un conseil donné au lecteur d’aller le voir ou pas. On ne peut pas se satisfaire d’une écriture uniformément descriptive (expliquer à quoi joue le film) ou spéculative (quelles idées naissent de la rencontre du film et d’un point de vue sur lui) - d’une écriture qui dirait ''qu’importe si j’aime ou pas le film, voilà ce que j’ai à en dire''. Une critique est un dialogue multi-pistes, avec soi, avec un lecteur, un spectateur, et avec le film. Il faut trouver une place pour l’engagement. Il faut pouvoir dire, ou faire sentir, qu’on aime ou qu’on rejette, qu’on se sent perdus, rassurés ou surpris, avec toutes les nuances entre ces termes. Je ne veux pas croire que ce soit secondaire, et ce n’est pas se plier à la prescription pour autant : on n’en reste pas moins libre d’assumer une mauvaise foi, d’être excessif, d’aimer aveuglément, d’aller vers la simplicité autant que vers la complexité - le critère principal demeurant la sincérité, ne pas se mentir ou faire semblant. [...] Tenir une position ferme sur un film n’est pas, ne doit pas être synonyme d’un déficit d’idées. L’émotion n’est pas une défaite."

    D'ailleurs, on peut considérer qu'un film est bien réalisé et ne pas l'aimer. Truffaut déclarait ainsi à propos du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci sorti en 1972 : "C'est un film que j'admire mais je ne l'aime pas. Certaines séquences me semblent avoir été réalisées pour épater l'intelligentsia des grandes capitales du monde entier. C'est un film très intelligent, cela on ne peut pas en douter. Mais je ne l'aime pas."

    Le Dernier tango à Paris,  B. Bertolucci (1972)

    Être un bon critique

    Dans l'idéal le critique est, selon Serge Daney, critique des Cahiers du Cinéma puis de Libération, "un passeur entre deux pôles. Entre celui qui fait et celui qui voit ce qui a été fait" ou selon Jean Mitry, historien, critique et théoricien du cinéma, il est comme un "journaliste spécialisé, ''intermédiaire'' disent ses ennemis, ''intercesseur'' disent ses amis..., dont les écrits et les essais contribuent en fait non seulement à la compréhension du cinéma, auprès du grand public, mais aussi de la part de ceux qui le font, à une prise de conscience plus profonde de leur art." Dans le même ordre d'idée, Jean Douchet, cinéaste, critique et enseignant de cinéma, écrit en 1987 dans L'art d'aimer : "Révéler en quoi l'artiste enrichit son art par son œuvre et comment cette œuvre est enrichie à son tour par l'art me parait être en définitive, la pierre d'achoppement de la critique". C'est pour ces raisons, et à cause d'une certaine méconnaissance ambiante du cinéma, qu'Olivier Assayas, cinéaste après avoir été critique aux Cahiers du cinéma, préfère les critiques professionnels : "Les blogueurs ne me gênent pas : ce ne sont après tout que des gens qui parlent depuis leur balcon à d'autres gens en bas qui veulent bien les écouter. Le ton des commentaires sur Internet me met en revanche très mal à l'aise : souvent, on y conteste l'autorité d'autrui au nom de sa propre autorité. J'y vois le reflet d'un poujadisme postmoderne, d'une démagogie contemporaine qui voudrait que tout ce qui se dit dans un lieu de pouvoir soit sujet à caution, tandis que le grand n'importe quoi du Net serait forcément véridique. Il y a une étrange crédulité à penser que le summum de la liberté c'est de naviguer dans un lieu où la parole n'est pas contrôlée". Néanmoins, "il y a des sites de contenu, comme Dvdclassik ou Films de culte, des webzines comme Zinzolin où, là, je trouve que les mecs écrivent parfois mieux que dans les journaux. Mais c’est aussi parce qu’ils n’ont pas la même pression en termes de format et d’obligations de vente", explique Alex Masson.

    Annie Hall, W. Allen (1977) : comment ne pas clouer le bec à quelqu'un qui pérore

    Meriam Azizi, critique de cinéma en Tunisie, se fait plus précis quand il définit le travail d'un critique cinématographique. Il déclare : "La critique de cinéma découlant de l’expérience du visionnage, ne peut qu’élucider le message du film, le prolonger, voire l’enrichir. C’est l’étape qui permet au spectateur d'y voir enfin clair. L’utilisation dans la critique cinématographique de tout un champ lexical propre au jargon de l’analyse filmique, tel que les notions techniques des valeurs de plan, du flash-back, du flash forward ou l’emploi précis tantôt de scènes, tantôt de séquences qui permet la distinction des deux termes ; de continuité dialoguée, de climax, etc., offre au spectateur l’occasion de pénétrer dans le film, de se familiariser avec un univers auparavant inexpugnable. Le film n’est plus seulement un produit commercial destiné à la consommation immédiate, l’image n’est plus jetable !

    Grâce à l’interposition de la critique, le film accède au statut d’une œuvre artistique. Il devient un objet à penser, un sujet capable de faire naître indéfiniment, à l’instar de la maïeutique, des questionnements philosophiques, voire un discours à même de proposer des alternatives pour des situations d’actualité.

    [...] Par ailleurs, cette discipline est en mesure d’aiguiser l’esprit critique du spectateur dont la curiosité ne porte plus sur le produit fini, mais englobe tout le processus depuis sa forme écrite (le scénario) à l’écran. Cette prise de conscience évite d’avoir une posture naïve, et favorise plutôt une lecture subtile et ingénieuse.

    La critique de cinéma est une activité cruciale. [...] Il est vrai qu’aujourd’hui le spectateur est plus une personne qui s’attend à des images divertissantes qu’un spectateur formant une partie prenante de l’expérience filmique. Si notre époque enregistre un désintérêt à l’égard des réflexions autour du film ou de la théorie du cinéma dont fait partie la critique, Internet est plus que jamais l’espace où le spectateur est libre de réagir à n’importe quel film. [...] La critique sert aussi à évaluer l’œuvre artistique. Si l’on fait fi de ce métier à visée didactique, si l’on ampute cette instance, on toucherait même à la définition du spectateur [...]. En effet, naturellement, l’esprit humain en présence de n’importe quel spectacle est enclin à porter un jugement. En conclusion, importante ou non, la critique est quasiment une activité intrinsèque, voire indissociable de l’acte de prendre part au spectacle du défilement filmique."

    Le Mépris, J.-L. Godard (1963)

    D'ailleurs, Jean-Michel Frodon, critique notamment pour Le Monde ou Les Cahiers du Cinéma, précisait dans "À quoi sert la critique de cinéma ?" : "La caractéristique d’une œuvre d’art est d’être un objet ouvert [...], un objet dont on peut décrire les composants mais dont le résultat excède, et excédera toujours ce qu’on peut en analyser et en expliquer. Et le travail du critique n’est pas, surtout pas, d’expliquer ce mystère, de répondre à la question que pose toute œuvre d’art. Celle-ci doit rester ouverte, pour être habitée librement par chacun de ses spectateurs – ou lecteurs, ou auditeurs, selon l’art dont il s’agit. Au contraire, le travail du critique est de déployer le mystère, d’en ouvrir l’espace à ses lecteurs pour que ceux-ci y pénètrent plus aisément, le parcourent, l’habitent chacun à sa manière, pour que chacun construise son propre dialogue sans fin avec l’œuvre en question. [...] Est-ce à dire que tout film est une œuvre d’art ? Bien sûr que non. Mais tout film, quelles que soient ses conditions de production, en contient la promesse, tenue ou non. Dans les faits, un nombre relativement restreint de films sont de véritables œuvres d’art, la plupart cherchent au contraire des objectifs utilitaires, mécaniques, qui asservissent leurs spectateurs à des stratégies qui peuvent être sophistiquées mais qui à la fin visent au contrôle des émotions, des pensées et des comportements. La plupart évite d’être des œuvres d’art, avec la part d’incertitude, de trouble que cela suppose nécessairement. Le travail du critique est alors de mettre en évidence ces mécanismes et d’en dénoncer les effets. Mais ce travail peut être aussi de repérer comment, malgré une visée purement utilitaire et instrumentale, une dimension artistique apparaît dans un film qui ne le cherchait pas : une des grandes beautés du cinéma est d’être capable d’art même quand ceux qui le font n’en ont pas le projet, se contentant pour leur part des autres dimensions du cinéma, le commerce, la distraction et le document".

    Quant à Cyril Neyrat, entre autres critique aux Cahiers du cinéma, il va plus loin : "On peut formuler assez violemment ce que serait la nécessité de la critique, qui n’est pas la même qu’il y a quarante ou vingt ans : distinguer dans le cinéma contemporain ce qui est vivant et ce qui est mort. Ce n’est pas la même chose que l’évaluation, que dire ''ce film est bien'' ou ''ce film n’est pas bien''. La beauté, la valeur esthétique ne suffit pas à dire ce qui est vivant et ce qui est mort". On retrouve cette idée dans certaines critiques, par exemple celle de Skyfall, film réalisé par Sam Mendes en 2012, sur le site de dvdclassik.

    Skyfall, S. Mendes (2012)

    Nécessité de la critique aujourd'hui

    Jean-Michel Frodon concluait en 2010 son article "À quoi sert le cinéma ?"  par cette idée : la critique cinématographique "est plus que jamais nécessaire : la multiplication des moyens de diffusion et notamment Internet, en rendant potentiellement tous les films accessibles, rend encore plus nécessaire l’élaboration de discours qui aident à construire ou à reconstruire sa place de spectateur. Parmi les centaines de milliers de films aujourd’hui accessibles en ligne, le marketing travaille inlassablement, et avec de très gros moyens, à faire en sorte que tout le monde choisisse les mêmes films, se soumette à la même idée du cinéma. [...] Il revient à d’autres instances, les critiques, mais aussi les festivals, et les enseignants, de construire le chemin vers d’autres films, d’autres styles, d’autres idées du cinéma que ceux vers lesquels la très grande majorité se dirige ''spontanément'', grâce à un libre choix en faveur duquel des dizaines de milliards de dollars de marketing sont investis chaque année. Plus il y aura de films sur Internet et de gens pour les regarder ainsi, plus on aura besoin de la critique, plus le marché tendra à la détruire pour décider seul, plus il faudra la défendre".

    Mais pour ce faire, il faut éviter les critiques de magazines comme Première ou Studio (ciné live), c'est-à-dire d'"une presse qui privilégie l'image au discours, l'actualité à l'analyse. [...] Des revues parfaitement représentatives de cette société des loisirs qui colorie les chefs-d’œuvre avant de les montrer aux enfants", comme l'expliquait dans son article "L'aventure cinéphilique de Positif (1952-1989)" Thierry Frémaux en 1985, pas encore directeur de l’Institut Lumière de Lyon ni délégué général du Festival de Cannes.

    Casablanca, M. Curtiz (1942) : version originale et version colorisée

    En effet explique Alex Masson, "la majorité des journaux [...] appartiennent à des groupes qui, aujourd’hui, sont dans une logique générale de très court terme : il faut que ça rapporte de l’argent tout de suite. Ce manque de pensée sur le long terme a conduit les dirigeants des journaux de cinéma généralistes (Première, Studio...) à ne penser qu’en fonction du plus grand dénominateur commun. Sauf qu’à force de trop vouloir fédérer on se retrouve avec une surmédiatisation et une surexposition de quelques films, et un contenu finalement appauvri. Et la conséquence de cela, c’est qu’on donne un tel poids aux films de majors qu’à un moment donné, elles en viennent à ne plus considérer la presse comme un élément critique, mais comme un instrument de marketing. [...] Aujourd’hui, pour parler d’un gros film, il faut être sur la liste de la major qui s’en occupe, et qui va t’envoyer faire des interviews parfois six mois avant que le film soit terminé. Le critique ne voit donc pas le film en intégralité (impossible, de fait, de se prononcer dessus !) et fait des interviews qui vont durer entre 3 et 10 minutes, à la chaîne. [...] Les interviews qu’ils font sont donc vides de contenu. [...] Qu’est-ce que ça me dit du film ? Qu’est-ce que ça m’apprend ? Rien. On est dans l’exercice promotionnel. On ne parle pas [du film] mais on lui donne de l’espace".

    D'ailleurs, Antoine de Baecque, historien du cinéma et ancien critique à Libération, regrettait en 2010 le pouvoir subversif de la critique : "La critique meurt sans faire de bruit, à cause de l'uniformisation des formats d'écriture dans la presse écrite, et de l'espace infini où elle peut se déployer sur Internet, tambour de machine à laver qui tourne tout seul. Sa fonction de tribune polémique ne peut plus s'exercer. Avant, la France était l'un des rares pays où le débat d'opinion sur l'art existait. La dernière polémique connue s'est faite autour du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain. En 2001 ! Heureusement, on trouve encore des ilots de résistance, des sanctuaires où la critique peut encore faire son travail : juger, partager, diviser".

    Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain, J.-P. Jeunet (2001)

    Dans le même ordre d'idée, Serge Kaganski critique aux Inrocks - où il descendit en flèche, mais de façon argumentée, Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain -, revendique le droit à la polémique : "Les critiques n'ont pas toujours raison. Il leur arrive de se tromper, d'y aller fort, de faire preuve de mauvaise foi, ou tout simplement d'exprimer un ressenti différent de celui du voisin. Ils ont plus ou moins de talent. La critique n'est pas un guide des loisirs ou un mode d'emploi de la culture mais un espace de prise de parole et de débat. La critique n'est pas une science exacte mais un domaine éminemment subjectif, une affaire de sentiments, un mélange parfois explosif de réflexion froide et de passion brûlante. C'est aussi ce qui fait tout son intérêt, toute sa saveur. Dans l'univers qui est le nôtre, où la publicité et la communication deviennent de plus en plus écrasantes, la parole critique ou ce qu'il en reste demeure un lieu de liberté, d'échange, de réflexion et de plaisir".

    Mais Michel Ciment, directeur en chef de la revue Positif depuis 2003, conclut une bonne interview dans les Inrocks de façon optimiste : "Tant qu’il y aura des critiques cinéphiles, passionnés, qui comprennent les intentions des cinéastes et donnent une large répercussion à leur travail, et que ces critiques trouveront des tribunes pour s’exprimer, le cinéma sera entre de bonnes mains".

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