• Les ingrédients d'une bonne théorie du complot

    Beaucoup d'internautes ont tendance à privilégier "les images, les textes courts, les formules choc, qui donnent une clé de compréhension à moindres frais" explique l'historienne Marie Peltier qui a publié en 2016 L'Ère du complotisme. La Maladie d'une société fracturée. Autant dire que dans ces conditions les théories complotistes font florès sur le web.

    Des élèves de 2nde Gestion Administration du lycée Madeleine Vionnet de Bondy ont découvert dans le cadre du programme "Mon Œil !" (qui interroge les enjeux de création, de présentation et de diffusion des images) quels sont les mécanismes récurrents des vidéos conspirationnistes. Avant de révéler quels sont les "dix ingrédients d'une bonne théorie du complot", ils ont réalisé une magnifique démonstration prouvant que les chats sont beaucoup plus mystérieux qu'on ne le croit...

    Renouveau du complotisme

    Certes, de vrais complots existent, par exemple, en 2003 quand les États-Unis de Bush ont présenté devant le Conseil de sécurité des Nations unies un dossier trompeur sur les armes de destructions massives en Irak, dossier réalisé par l'administration de Tony Blair. Ces complots alimentent la pensée des complotistes. Ainsi, selon Marie Peltier, "si les racines du complotisme existaient bien avant, il y a eu une réactivation de ce phénomène à partir du 11 septembre 2001. On assiste alors à l’apparition d’un nouveau récit politique et médiatique, mais aussi dans les sphères alternatives. Du point de vue de l’administration de George W. Bush et des politiques qui lui ont emboîté le pas, il s’agissait de se servir de cet événement pour mettre en scène la lutte civilisationnelle de la liberté contre la barbarie. En 2003, cette posture a servi à justifier l’intervention militaire en Irak alors qu’une partie de l’opinion mondiale s’est sentie exclue de cette narration. Cela a ouvert une ère du désaveu. Les mensonges justifiant cette intervention – relayés par certains médias – représentent une fracture majeure, doublée du sentiment que les manifestations contre la guerre n’ont servi à rien. Ce doute fondateur est aujourd’hui présent de manière très profonde dans l’imaginaire collectif, la rupture de confiance est devenue le terreau commun de certaines sphères de la gauche radicale et de figures d’extrême droite de la complosphère francophone. Le « système » politique et médiatique serait intrinsèquement pourri et il faudrait donc s’opposer par tous les moyens à ceux qui l’organisent en sous-main : les « sionistes », la CIA ou encore l’OTAN".

    "À aucun moment l'esprit critique ne se met en marche " explique le numéro 50 de Datagueule intitulé "Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le complot". En effet, les "question[s ne sont] là que pour conforter une croyance jamais questionnée, celle d'un complot. Une fois cette logique installée, chaque nouvel élément, contradictoire ou non, vient renforcer cette croyance d'origine. Un cercle vicieux". Si "les théories du complot nous privent d'esprit critique, ingrédient essentiel de toute démocratie, [c'est qu']elles doutent de tout, sauf d'elles-mêmes".

    C'est pour cela que CORTECS (Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences), qui a pour objectif central la transmission des divers aspects de l’esprit critique, la pensée critique ou sceptique, propose "des outils et des techniques permettant de faire la distinction entre recherche scientifique sur les complots et conspirationnisme peu étayé [... et] les différentes étapes [... pour] outiller toute personne qui souhaite se positionner face à ces affirmations conspirationnistes" en dix points pour "exercer son esprit critique" :

    • "étape zéro : les précautions à prendre ;
    • première étape : la charge de la preuve ;
    • deuxième étape : réfutabilité et biais de confirmation ;
    • troisième étape : rumeurs et vérification de la source de l’information ;
    • quatrième étape : valeur du témoignage et niveau de preuve ;
    • cinquième étape : l’étouffement cognitif ;
    • sixième étape : le bizarre est possible ;
    • septième étape : le rasoir d’Occam ;
    • dernière étape : comment distinguer un complot étayé d’un complot qui ne l’est pas ;
    • un pas de côté".

    Pensée binaire

    Plusieurs causes à cette recrudescence de la pensée complotiste.

    D'une part, Serdar Devrim, docteur en économie, écrivain et journaliste pour le quotidien turc Hürriyet, explique que "ceux qui lisent un journal, ne le lisent pas pour apprendre quelque chose mais pour conforter leur opinion. Le meilleur moyen de s’informer est de garder un sens critique face à la masse d’informations à laquelle nous devons faire face", d'autant qu'avec internet et l’information en continu, la masse d’informations est devenue difficilement déchiffrable. Un sondage montre d'ailleurs que proportionnellement à la croissance de sa masse et de sa vitesse, la crédibilité de l’information diminue dans l’opinion publique, rappelle LePetitJournal. Emanuel Taïeb, enseignant à l’Institut d’études politiques de Lyon et spécialiste du conspirationnisme, précise que "ces théories surgissent à chaque fois qu’un événement est complexe à assimiler pour une société".

    Or les coïncidences font partie des éléments facilement interprétables comme le montraient avec beaucoup d'invention les vidéos "Complot" du Before du Grand Journal. Ainsi celle révélant que les Schtroumpfs sont communistes est confondante :

    D'autre part "les théories du complot ont un pouvoir attractif fort, car elles prétendent dévoiler la vérité. Elles sont également plus excitantes, plus inquiétantes et troublantes que les versions connues des faits", dit Emmanuel Taïeb qui souligne également que les théories du complot sont aujourd’hui devenues un phénomène de société : elles ne touchent pas uniquement les jeunes et les populations défavorisées comme certains sondages peuvent le laisser penser.

    Marie Peltier rappelle qu'en effet beaucoup de complotistes "tombent dans ces discours car ils ont l’impression de ne pas être reconnus". Ils sont donc fascinés par le fait "d’être les détenteurs d’un savoir caché", à la condition que celui-ci rentre dans leur grille binaire de lecture.

    Les ingrédients d'une bonne théorie du complot

    Enfin, "construire une théorie du complot est une arme politique qui permet à des acteurs politiques extrêmes, marginaux ou faibles d'exister dans le champ médiatique ou politique à moindre coût", souligne Emmanuel Taïeb. 

    Paresse intellectuelle

    Pour le journaliste américain Alexander Cockburn, animateur du site critique et auto-proclamé "fouille-merde" ("mucracking") Counterpunch, cette "disposition à apprécier les événements à travers le seul prisme des conspirations [détourne] l'attention collective des manigances bien réelles – et moins liées à un coupable particulier" des pouvoirs en place. Il suffit, par exemple, de lire les livres des sociologues Pinçon-Charlot pour s'en rendre compte. Et là, nul besoin d'une théorie du complot pour comprendre comment, par exemple, les impôts de tous ont permis de financer l'enfouissement du périphérique passant entre les riches quartiers de Paris ouest et de Neuilly :

    « Au nord et à l'est, le périphérique a un air rébarbatif au point que l'on cherche avant tout à le fuir. […] Bruyant, malodorant, obstacle infranchissable, sinon par les passages peu engageants des anciennes portes de la ville [...] Paris et sa banlieue se tournent le dos, s'ignorant là où elles sont en contact apparent. […] À l'ouest, à partir de la porte d'Asnières, le paysage change. Apaisé, en tranchée, enterré, le périphérique se fait discret. On le traverse sans en prendre conscience. » Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon, Les Ghettos du Gotha, 2007 – photos : François Lacour

    "Le pouvoir des classes dominantes est [...] aussi un pouvoir sur l'espace. Les enjeux en ce domaine sont vitaux il y va des conditions de vie et de la reproduction des positions sociales. La haute société ne laisse rien au hasard et sa mobilisation de tous les instants et sur tous les fronts est l'une des clefs de ses succès. La capacité à se reconnaître, à s'apprécier comme appartenant au même monde en est une autre. C'est elle qui permet cette collusion qui n'est pas délibérée parce qu'elle va de soi. Toutes sortes de professions peuvent ainsi être mobilisées hauts fonctionnaires, avocats, fiscalistes, architectes, hommes d'affaires œuvrant dans l'immobilier, hommes politiques, tout un monde ayant du pouvoir sur la ville, sur le patrimoine, sur les projets urbains et d'aménagement. Cette proximité sociale et professionnelle permettant d'influer sur les prises de décision suppose des trajectoires scolaires similaires ; l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris et l'École nationale d'administration (ENA) reviennent fréquemment dans les biographies. On a ainsi tout naturellement une collusion de fait entre les élites. Celle-ci a pu être observée dans la manière dont fut décidée la couverture du boulevard périphérique de Paris pour les seuls arrondissements de l'ouest. Les débats de l'époque sont révélateurs de cette recherche d'une préservation systématique des conditions de vie de ses semblables de la part des décideurs proches ou appartenant à cette haute société. En principe la loi est la même pour tous. Dans les pratiques de l'aménagement urbain, il y a deux poids et deux mesures." (Les Ghettos du Gotha, 2007)

    Top 10 des plus grandes théories du complot - et une autre les englobant toutes

    Histoire de voir à quel point les complotistes cogitent beaucoup, alors qu'ils pensent mal, voici un "taupito" bien fait. Il recense les 10 théories actuelles les plus répandues (fort bien résumées par StigmaSoNow dont on ne révèlera pas l'identité pour des raison évidentes de sécurité : "Le WTC 7 est tombé car il contenait les preuves qui faisaient de JFK le père de Lady Diana. JFK ayant été assassiné par Elvis Presley parce qu'il n'avait pas été retenu pour le casting de la mission Apollo dont la technologie était issue du vaisseau spatial reptilien écrasé à Roswell après avoir été frappé par le dispositif HAARP lui-même financé par des fabricants de choucroute en boîte") :

    Néanmoins, tant l'équipe de la Taupe que StigmaSoNow se trompent en pensant que "le reste n'[est] que pure invention". En effet, le site du Gorafi a découvert grâce à David Bani, le créateur du site "Hoaxbuilder.fr, spécialisé dans la diffusion de rumeurs sur la toile" qu'"un complot mondial serait à l’origine de nombreuses théories du complot" : "Pour David Bani, trop de questions et d’incohérences laissent à penser que les versions officielles d’événements tels que l’assassinat de Kennedy ou le 11 septembre pourraient avoir été mises en place dans le but de répandre ces théories conspirationnistes. « Ceux qui tirent les ficelles s’arrangent pour que ces versions soient trop plausibles pour qu’on puisse y croire. Ils nous forcent ainsi à nous poser des questions et partir sur des fausses pistes alors qu’en fait, c’est la vérité »".

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