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Le sang du coltan
La filière électronique, via la production de condensateurs, reste le principal consommateur de tantale sous forme de poudre avec la filière des super alliages.
Problème : la production du coltan, dont on extrait le tantale, fait beaucoup de morts...
On utilise un minerai plutôt rare et précieux (ce qui lui vaut le nom d’or gris), le coltan, dont on extrait le tantale pour réaliser certains composants électroniques utilisés dans la fabrication
- des téléphones portables,
- des ordinateurs,
- des caméras vidéos
- mais aussi des systèmes hautement spécialisés comme les satellites, les réacteurs, les GPS, les missiles, les fusées et les avions (le tantale est donc indispensable à la défense des pays occidentaux).
Pour certains de ces produits technologiques, il n’existe pas d’alternative au tantale, en particulier pour les appareils de communication sans fil en plein essor. Le secteur de l’électronique monopoliserait ainsi 60 à 80 % du marché du tantale. En effet, le tantale possède des propriétés physiques remarquables qui lui offre une grande résistance à la chaleur et à la corrosion. Ainsi, en 2000 une pénurie mondiale de tantale a empêché la firme japonaise Sony de fabriquer sa plate-forme de jeu vidéo Play Station 2 en quantité suffisante pour satisfaire la demande. Outre Sony, les principaux acheteurs finaux de tantale sont bien connus : Motorola, Nokia, Samsung, Bayer, NEC, …
Le coltan et la guerre au Congo
On trouve un peu de coltan au Canada, en Espagne, au Vénézuela, en Chine, pas mal en Australie et au Brésil, et, surtout, en Afrique. Sur ce continent, ce minerai est réparti notamment dans la zone des grands lacs (les deux Congo recélant plus de ¾ des réserves africaines). Si aujourd’hui l’Australie et le Brésil en exportent en quantité, l’enjeu géostratégique des puissances, qui raisonnent en termes de réserves, est en RDC qui fournit environ 20% du tantale sur le marché mondial. L’Europe et les États-Unis principaux consommateurs du coltan n’en détiennent aucune réserve. Le rôle clé du coltan dans les secteurs économiques les plus florissants au monde depuis une quinzaine d’années, qui génèrent des chiffres d’affaires astronomiques (des centaines de milliards de dollars par an), aurait donc pu permettre aux pays africains producteurs de peser sur les marchés parmi les plus stratégiques et rentables de la planète et de disposer d’une source de revenus importante pour leurs économies. Mais comme toujours en Afrique, ce minerai sème plus de désolation que de valeur ajoutée économique et sociale.
Exploitation dangereuse
L’exploitation du coltan au Congo (RDC) est faite de manière artisanale. Les mines sont le plus souvent organisées en concessions accordées par le propriétaire du terrain à des « prospecteurs - creuseurs » qui sont souvent d’anciens villageois ou paysans. Ces creuseurs ont un travail à double tranchant : ils peuvent toucher jusqu’à 75 dollars par semaine en revendant leur production à des grossistes, soit l’équivalent de six mois de travail pour un cultivateur local. Ce salaire est d’autant plus mirobolant que les agriculteurs ont depuis une vingtaine d’année la quasi-certitude que leurs récoltes seront confisquées par des milices en quête de ravitaillement. Mais les conditions de sécurité des mineurs sont plus qu’incertaines et les effets à long terme sur la santé des poussières de coltan, légèrement radioactif, restent inconnus. En outre, ce sont très souvent des adolescents qui travaillent sans aucune sécurité dans ces mines, ou plus exactement ces trous. Ceux-ci connaissent régulièrement des accidents mortels, se transformant en tombeaux pour ceux qui y restent coincés. Les grossistes, de leur côté, risquent d’être volés et tués par les milices auxquelles ils vendent leur minerai.
Lien entre guerre au Congo et coltan
D'ailleurs, selon l’ONG Global Witness, qui est spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l'accompagne, les groupes rebelles et l’armée congolaise recourent à une main d’œuvre forcée, commettent des actes d’extorsion systématique et imposent des taxes illégales à la population civile. Ils soumettent également à des actes de violence (tueries, viols) et intimidation les civils qui refusent de travailler pour eux ou de leur remettre les minerais qu’ils ont produits.
En effet, au Congo, l'exploitation du coltan se fait essentiellement dans les zones de guerre, en particulier celles tenues par les rebelles. Ces derniers sont les véritables bénéficiaires de l’envolée des prix du coltan au cours de ces dernières années, consécutive à l’explosion de la téléphonie mobile (plus de trois milliards de mobiles fonctionneraient dans le monde – il s’en vendrait cinquante-sept toutes les secondes à travers le monde). Ce qui leur permet de financer une guerre qui dure depuis une dizaine d’années et qui a causé la mort de plus de six millions de personnes, des atrocités qualifiées de véritables crimes contre l’humanité – parmi les crimes commis par les groupes armés de la région il y a les viols de masse (des centaines de milliers de cas), utilisés sciemment pour semer la terreur parmi la population et la contraindre à la fuite, de sorte de laisser le champ libre à ceux qui pillent le coltan –, mais aussi la dévastation des écosystèmes forestiers et de certains animaux comme les gorilles. Ainsi, selon un grand nombre d'analystes, cette guerre en République démocratique du Congo, qui est l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale, aurait entre autres comme enjeu le coltan. En plus du Congo, sont impliqués des pays comme le Rwanda et l’Ouganda. Un rapport d'experts présenté en 2001 au Conseil de sécurité de l’ONU dénonce les grandes quantités de ce minerai illégalement extraites du sol de la République démocratique du Congo et transportées en contrebande, en accord avec des entrepreneurs occidentaux, par les armées de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la RDC qui occupaient la Province orientale et la région du Kivu, à l'est du pays. L'armée rwandaise aurait ainsi retiré 250 millions de dollars de 1998 à 2000 du trafic illégal de ce minerai. Ces exploitations minières illégales encouragent le maintien d'armées étrangères au Kivu. Évidemment, les trois États mis en cause par le rapport de l'ONU ont nié leur implication dans le trafic du coltan.
Conséquences socio-économiques
Comme l'explique un bon article de Philippe Le Billon et Christian Hocquard paru en 2007, "Filières industrielles et conflits armés : le cas du tantale dans la région des Grands Lacs", l'exploitation du coltan a fort peu rapporté d'argent au Congo : "En 2000, les revenus ont été d’environ 95 millions de dollars pour la région et d’environ 140 millions de dollars pour les acteurs hors de la RDC. La part locale (revenant aux creuseurs, chefs d’équipe et petits négociants dont le nombre en 2000 était estimé entre 35 et 50 000) n’a été que de 35 millions de dollars environ, soit seulement 4 % du revenu global généré par la filière". Sans compter "les effets néfastes sur la santé (exposition aux maladies, notamment au sida, manque d’accès aux soins)", mais aussi le fait que "l’afflux de dollars dans l’économie locale a fait rapidement monter les prix à la consommation et donc diminué le pouvoir d’achat de la population locale, particulièrement celle qui n’était pas intégrée à l’économie du coltan. Cette inflation a notamment touché les produits alimentaires, car de nombreux agriculteurs ont délaissé leurs cultures pour se joindre à la ruée minière. La crise du tantale a donc affecté négativement la sécurité alimentaire dans la région. Au-delà du secteur alimentaire, la ruée a motivé de nombreux étudiants et personnels des services publics et d’enseignement à quitter leur poste". Ainsi, le bilan socio-économique de l'exploitation du coltan au Congo est-il "globalement très négatif".
Prise de conscience internationale
De nombreuses dénonciations
Cette situation a été dénoncée en 2001 par des ONG avec le slogan "pas de sang sur mon portable".
En 2005, l'ONU et plusieurs grandes firmes ont décrété un embargo sur le coltan en provenance d'Afrique, car son commerce est soupçonné d'alimenter des guerres civiles. Mais il est difficile de retracer son origine et la plupart des compagnies font peu de cas de la morale, utilisant du coltan congolais par l’intermédiaire de leurs sous-traitants chinois. D'ailleurs, les fabricants de téléphones portables ou d'autres technologies n’exploitent pas directement les usines ou les mines indispensables à la confection de leurs produits. Grâce à des jeux savants de sociétés écrans et d’intermédiaires pas toujours respectables, ils peuvent fermer les yeux sur ces pratiques. Bill Gates, principal actionnaire de Microsoft, qui a racheté l’activité téléphone portable de Nokia, se tait lorsqu’on l’interroge sur ces mines et les conditions de travail. En revanche, le milliardaire est beaucoup plus bavard lorsqu’on lui demande d'évoquer ses activités caritatives en Afrique. En outre, jusqu'à présent la Commission européenne s'est montrée très souple vis-à-vis des constructeurs de portables utilisant ces "minerais de sang" autrement nommés "minerais des conflits" (le tantale, mais aussi le tungstène, l'étain, l'or…).
Patrick Forestier a remonté les filières du coltan afin de savoir si les fabricants d'électronique occidentaux respectent effectivement l'embargo et s'ils ont vraiment renoncé à acheter le « coltan du sang ». Il en a fait un documentaire intitulé "Du sang dans nos portables ?", diffusé en 2007. Son reportage est toujours d'actualité, comme en témoigne l'article du Monde du 28 mars 2014 : "Des entreprises américaines accusées de violer une clause du Dodd-Frank Act".
C'est pourquoi Anonymous s’est attaqué en mai 2012 aux sites webs des groupes HC Stark (filiale de Bayer), Samsung, LG et Sony. Le groupe hacktiviste accusait ces entreprises de tuer des enfants en les laissant travailler dans des conditions inhumaines.
Les 6, 7 et 8 février 2015 ont eu lieu les 15èmes Journées Mondiales sans Téléphone Portable & Smartphone. Cette année, intitulées "Mauvaises ondes pour la planète", elles avaient pour thème l'environnement avec entre autres comme thème de réflexion "40 métaux lourds et polluants (Coltan) engendrant des extractions et des guerres en République démocratique du Congo".
Mais ce scandale est loin d'être réglé. Non seulement le coltan rapporte beaucoup d'argent à des multinationales, à des groupes armés, mais en plus les consommateurs occidentaux changent très souvent leurs objets technologiques sans penser aux conséquences de leur surconsommation. Ainsi, en moyenne les Français achètent un nouveau téléphone portable tous les vingt mois alors que ces appareils ont une durée de vie de quatre ans environ.
Le Fairphone, une solution ?
Petit espoir concernant les consommateurs : le premier Fairphone est sorti sur le marché en 2014 et il s'est très bien vendu. Il s'agit du "premier smartphone dont le développement est fondé sur l'éthique", explique 01net.com. Le fabricant hollandais (qui porte le même nom que son projet) élabore un smartphone répondant aux critères du commerce équitable :
- traçage des matières premières - les minerais servant à sa construction sont prélevés dans des zones préservées de conflits armés. Fairphone crée de l’emploi dans ces mêmes zones ;
- initiation de projets dans différents pays : un fonds de protection de travailleurs dans des usines en Chine, un centre de recyclage des déchets électroniques au Ghana... ;
- smartphone recyclable.
Ce projet paraît sincère, bien qu'"un poil opportuniste", analyse un article des Numériques de septembre 2013, "La possibilité d'un smartphone équitable ?". Toujours est-il que "la prochaine version du Fairphone 2 sera proposée à la vente au cours du second semestre 2015. Plus puissant que le premier modèle, le nouveau smartphone sera également plus "vert" et plus respectueux des principes du commerce équitable. La production totale devrait atteindre les 200 000 exemplaires", annonce Numérama dans un article de mars 2015 : "Le Fairphone 2 arrivera après l'été". En outre, si "le Fairphone embarque actuellement Android comme système d'exploitation mobile, l'équipe derrière ce projet souhaite ouvrir ce smartphone à Firefox OS et Ubuntu". Basé sur une construction modulable, ce smartphone est facilement réparable et conçu pour durer. Il est présenté comme étant un « antidote à l'obsolescence programmée », ce qui n'est pas gagné car la durée de vie des batteries des FP-1 est très limitée. Pour remédier à ce problème et être plus compétitif, un Fairphone 3 devrait sortir en 2018.
Mais ce projet ne stoppera pas l'exploitation illégale du tantale au Congo, ses dirigeants en sont d'ailleurs tout à fait conscients.
Des réserves pour 10 à 25 ans
Une note de l’École de guerre économique datant de 2008 explique que l’irruption brutale de la Chine au Congo menace les intérêts stratégiques européens et américains, eux-mêmes divergents. La course pour les mines de l’or gris semble loin d'être finie…
Quoique... Le 20 mai 2015 le Parlement européen, après de nombreux débats, a voté une loi exigeant une traçabilité obligatoire, et non pas volontaire comme le voulait un certain nombre d'euro-députés, pour "tous les importateurs de l’Union" de minerais des conflits.
Et puis à partir des années 2025-2040, il est fort possible que, comme pour d'autres matières premières, les réserves mondiales de coltan soient épuisées ou très onéreuses à exploiter…
Tags : coltan, Congo, guerre, mine, tantale, exploitation, portable, Fairphone
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