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Tardi, un auteur anarchiste
Sa série des Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, ses adaptions littéraires telle celle du Voyage au bout de la nuit et ses albums sur la Première Guerre mondiale composent un univers personnel libertaire marqué par la révolte contre l'absurdité et la barbarie de la guerre, contre la bêtise humaine, par une description de la peur sous toutes ses formes et par un humour frôlant souvent l'absurde.
Tardi s'est fait connaître avec Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec. Il a commencé cette série en 1976 avec Adèle et la bête et a pour l'instant écrit huit autres albums. Dans une reconstitution assez réaliste du Paris des années 20, Adèle Blanc-Sec, héroïne sensuelle à l'humour décapant et libertaire affronte des monstres humains et animaliers.
C'est d'ailleurs après avoir découvert les décors dessinés par Tardi que l'écrivain Léo Malet lui demande d'illustrer ses romans dont le héros est Nestor Burma : "Tardi a su traduire mes souvenirs avec une remarquable fidélité, explique-t-il. Personne ne sait aussi bien que lui, nimber [les arrondissements de Paris] de cette humidité, de cette viscosité, ne sait en faire sourdre le cafard latent." Tardi adapte ainsi quatre romans de Malet, en particulier Brouillard au pont de Tolbiac.
Tardi a aussi illustré quelques textes de Céline en particulier Voyage au bout de la nuit dans lequel il a pu insérer les éléments de son univers sur le texte de Céline : "Ce texte me fournissait matière à des images, écrit Tardi. N’oublions pas le passage 14-18 au tout début du Voyage, et la banlieue à la fin... autant d’images à sortir." Pour ce travail, Tardi a choisi de disséminer dans le texte des images avec une mise en place interprétative. Les images ne sont pas liées aux têtes de chapitre, aux conclusions ni à des moments forts, comme cela se fait souvent car Tardi refuse l’option décorative. La modulation des formats et des emplacements est constante. La souplesse du parti retenu par le dessinateur ajoute une respiration, un rythme aux épisodes.
Laurie Viala explique : "Le talent de Jacques Tardi se manifeste tout particulièrement dans les scènes d’hallucinations et de visions. Le dessinateur n’est pas seulement un copiste dont la technique est au service du réalisme le plus poussé, il excelle dans l’allégorie, dans la métaphore, dans ces instants où le réel parvient aux confins du merveilleux. Ici, Tardi investit les interstices du texte. Il ne se contente plus de reproduire les images déjà construites par l’auteur, il suit sa piste et crée ses propres visions, sans pour autant sortir de l’œuvre. Un très bel exemple est donné par la case droite de la page 279 qui représente un soldat portant un masque à gaz, qui arrose de toutes petites croix, comme s’il s’agissait d’un gazon. Cette image n’est pas à proprement parler présente dans le texte célinien. Le dessin de Tardi vient enrichir en réalité le passage suivant : « Peut-être faudrait-il égorger tous ceux qui ne comprennent pas ? Et qu’il en naisse d’autres, des nouveaux pauvres et toujours ainsi jusqu’à ce qu’il en vienne qui saisissent bien la plaisanterie, toute la plaisanterie... Comme on fauche les pelouses jusqu’au moment où l’herbe est vraiment la bonne, la tendre. »"
Avec un grand-père qui a fait la première Guerre mondiale et un père qui a été prisonnier de guerre lors de la deuxième, il était logique que les guerres occupent une grande place dans l’œuvre de Tardi.
Il a souvent décrit les tranchées, et ce dès la série Adèle Blanc-Sec, décrivant la souffrance des soldats dans une guerre qui est une boucherie indigne. Sur ce thème, il a entre autres publié C'était la guerre des tranchées et Putain de guerre !
Ses dessins sont très structurés, et d'une grande finesse comme le montre cet extrait de la vidéo précédente :
Récemment, il vient de raconter la vie de son père dans un camp allemand lors de la deuxième Guerre mondiale, Moi, René Tardi, prisonnier de guerre - Stalag IIB. Dans cette BD, il se met lui aussi en scène, critiquant la guerre et son père, militaire de carrière, tentant par là-même de comprendre son engagement. Tardi explique que le langage de la BD permet de "décrire le malaise de ces prisonniers de guerre, pendant leur captivité mais aussi après. Comment pénétrer la mentalité d'un type qui a entre 18 et 25 ans en 1940 ? Ces périodes deviennent de plus en plus floues dans l'esprit des gens. On est dans une espèce de bouillie générale. Je trouve intéressant de représenter des détails qui éclairent l'histoire. Pour cela, je n'ai pas utilisé de cadrages complexes ; chaque page comporte trois cases de taille égale. On a une succession de plans généraux, un regard panoramique sur ce que voient les personnages."
Si ses livres évoquent des périodes et des mondes différents - il y a peu de point commun entre celui de Brindavoine et celui des héros des polars adaptés de Manchette, chacun de ses albums défend le peuple et développe un point anarchiste, comme en témoigne Le Cri du peuple. Cette BD, d'après le roman de Jean Vautrin, raconte le combat des révolutionnaires de la Commune, une utopie qui n'aura duré que deux mois : de l'union entre le peuple et l'armée
à l’exécution des Communards par cette même armée rentrée dans le rang avec la bénédiction du clergé et de la bourgeoisie.
Tags : Tardi, libertaire, BD, anarchiste, guerres
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