• Migrants

    Le 1er mars, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a annoncé que 131 724 personnes avaient franchi la Méditerranée depuis le début de l'année. C'est plus que pour les cinq premiers mois de l'année 2015. La crise des migrants s'aggrave donc en Europe, mais aussi partout dans le monde puisque les premiers pays touchés sont le Liban, la Jordanie, la Turquie qui accueillent chacun plus d'un million de réfugiés. Or, comme le rappelait fin février John Kerry, le secrétaire d’État américain, sans paix en Syrie, la crise s'aggravera - et ce même si d'autres pays voient leur population fuir des guerres civiles ou des régimes de terreur, ainsi l'Irak.

    Migrants

    Discours et réalité

    "Les ressources [pour gérer le nombre de migrants] ne manquent pas en Europe, ce qu'il manque c'est la volonté politique", a déclaré William Spindler, porte-parole du HCR, rappelant que, lors de l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, les mouvements de populations avaient été bien plus importants qu'aujourd'hui. En ce qui concerne la France, où un certain nombre de personnes estiment que l'on est "envahi" et/ou que l'on n'a pas les capacités d'accueil d'accueillir quelques milliers de réfugiés, il ne faut pas oublier qu'en 1962, elle a accueilli plus d'un million de réfugiés, dont la moitié étaient d’origine étrangère - ce que rappelle le démographe François Héran dans une très bonne émission de RFI du 30 aout 2015 se demandant si ces centaines de milliers de migrants sont une chance économique, culturelle pour l’Europe et s'il y a dans l’histoire des précédents. 

    Le "discours public est toxique, anti-migrants, anti-étrangers. Il empêche de trouver une solution. Or les migrations sont inévitables" aujourd'hui, explique William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations. En effet, la crise actuelle est sans précédent car le nombre de conflits dans le monde est extrêmement élevé et les gens peuvent davantage se déplacer qu'avant. Ceci explique qu'il y ait plus de 60 millions de personnes déplacées dans le monde. 

     graffiti de Banksy dénonçant la xénophobie, 2014

    Chiffres contre fantasmes

    En matière d’immigration, peur et fantasmes dominent. Pour les démonter, #Datagueule a créé une vidéo concernant les migrants. Comme toujours dans cette série, les chiffres rendant compte des faits sont parlant :

    • les migrants représentent à peine 3% de la population mondiale, contre 5% au début du XXe siècle, époque où les principaux migrants étaient les Européens eux-mêmes ;
    • si l’augmentation des guerres dans le monde a effectivement augmenté l’immigration, les populations déplacées ne concernent que 0,7% de la population mondiale ;
    • dans l’ensemble de ces déplacés, à peine 26% sont des réfugiés ;
    • 60% de ceux-ci ne font que se déplacer à l’intérieur de leurs frontières ;
    • à peine 0,4% de tous ces déplacés ont traversé les frontières de l’Europe ;
    • 3 millions d’euros chaque mois ont été alloués à l’agence Frontex dans le but de maintenir les réfugiés loin des côtes européennes ;
    • 22 000 personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée…

    Économie, démographie et droit

    William Lacy Swing rappelle d'ailleurs que dans notre Europe vieillissante, l'immigration est une chance pour qu'à terme on ait des travailleurs remplissant tous les emplois. Si l'Allemagne est plutôt favorable à l'accueil des migrants c'est qu'elle pourrait manquer de six millions d'actifs en 2030. Achim Dercks, de la chambre de commerce et d'industrie d'Allemagne, explique : "Nous avons besoin de main d'œuvre dans les domaines de l'hôtellerie, de la gastronomie, de la logistique ainsi que dans les secteurs de la santé et des soins aux personnes âgées". L'article de septembre 2015 du Huffingtonpost "Migrants : pourquoi l'Allemagne et la Suède sont devenues des terres promises" explique cela fort bien.

    Le problème, c'est que la plupart des discours politiques évoquent une migration économique alors que l'on constate depuis les années 60 que la très grande majorité des personnes qui viennent travailler dans un pays s'y installent définitivement. il faudrait donc être honnête et parler de migration de peuplement pour que les citoyens ne se sentent pas trahis et ne deviennent pas xénophobes. Par ailleurs, si les réfugiés seront finalement bénéfiques pour les économies des pays d'accueil, initialement "il y a un investissement à faire pour que les gens apprennent la langue, pour tout mettre en place pour les accueillir" analyse Thomas Liébig, économiste à l’OCDE (l'Organisation de coopération et de développement économiques) en charge des phénomènes de migration et leurs conséquences économiques pour les pays d’accueil.

    Par ailleurs, François Héran explique que "les arguments économiques ou démographiques pour justifier l'immigration [... sont des] arguments utilitaristes qui ne sont pas de bons arguments. [...] 90 % des quelques 200 000 migrants non européens qui arrivent en France chaque année ne sont pas là pour les besoins de notre économie ou de notre démographie, mais ils sont là parce qu'ils en ont le droit : le droit de vivre en famille, le droit d'épouser qui on veut, une minorité bénéficie du droit d'asile et enfin, depuis peu, se met en place le droit de faire des études dans de bonnes conditions".

    En France, accueil indigne

    Tout d'abord, "de la demande de visa à l’obtention d’un titre de séjour en passant par la demande du droit d’asile, les étrangers venant en France doivent faire face à de nombreuses difficultés" rappelait Charlotte Cosset pour RFI en septembre 2015. En particulier, non seulement les préfectures ne demandent pas les mêmes documents pour enregistrer un dossier, mais en plus "les exigences varient d’un agent préfectoral à un autre" raconte Lise Faron de la Cimade...

    Par ailleurs, l'accueil des réfugiés est souvent indigne, en particulier en France, comme le montre l'excellent reportage "Migrants : la France va ouvrir un camp humanitaire à Grande-Synthe" pour Le Monde, montrant le camp de Grande-Synthe fin décembre 2015.

    Diane Grimonet, Le Monde, camp de Grande-Synthe, 31-12-2015

    Calais

    Les conditions de vie dans les camps de Calais et de Grande-Synthe sont dramatiques et elles rejaillissent sur celles des Calaisiens, comme le rapporte un long reportage de Maryline Baumard le 4 mars dans Le Monde "Entre migrants et CRS, la grosse fatigue des Calaisiens". "Bien que installé à quelques kilomètres du beffroi, le campement d'exilés influe pourtant sur la vie des 72 000 habitants. L'inhumanité dans laquelle survivent des femmes, des enfants et des hommes a cassé l'image de la ville, le marché immobilier et imposé des règles tacites qui régissent aujourd'hui la vie des Calaisiens.

    Dans ce coin de la Côte d'Opale, on ne va plus aux urgences de l'hôpital. Trop encombrées par des exilés si mal en point que leur état nécessite des heures de soins. La clinique privée voisine a mis en place tout ce qu'il faut pour ceux qui peuvent payer. [...]

    À la piscine comme à la médiathèque, on ne peut désormais s'inscrire qu'en présentant un justificatif de domicile, et on n'oublie pas sa carte, sinon on reste dehors. La mesure a été prise par la municipalité face à la désertion de la nouvelle piscine par des Calaisiens qui refusaient de nager à côté de Syriens ou d'Afghans. Dans le quartier Nouvelle-France, une partie des 4 000 habitants ont changé leurs habitudes, renonçant à faire leurs emplettes rue Mollien et boudant le Lidl, depuis qu'il fait des affaires avec les exilés.

    Thérèse Legros, une sexagénaire qui traîne deux fois par semaine son Caddie dans l'enseigne, n'apprécie pas ce boycott. « Moi, je n'y prends plus le pain, parce que je n'aime pas que d'autres l'aient tripoté avant moi, mais le reste, ça va. » D'un revers de la main, elle balaie aussi la rumeur récurrente que certains ouvriraient des pots pour voir ce qu'il y a dedans, faute de comprendre les étiquettes. Ce que craint Thérèse, c'est la fermeture du magasin, par manque de clients français. « Parfois, la rumeur peut être fatale, ajoute sa fille, qui l'accompagne. Regardez ce grand magasin de sport, près de Dunkerque, déserté parce que les gens craignaient d'attraper la gale en manipulant les articles touchés par les migrants » , s'étonne-t-elle.

    [...] Élu d'opposition divers gauche à la mairie et tenancier du Cabestan, un bar de la rue Mollien, Laurent Roussel, estime, lui, qu'« on a surtout poussé les gens à devenir racistes à force de ne pas offrir de solution acceptable aux migrants ». [...]

    La ville voit aujourd'hui sa cohésion menacée. [...] Ratonnades, pagesFacebook assaillies de propos racistes... Des indicateurs dénotent l'état d'esprit actuel d'une frange de la population. « C'est indéniable, mais des non-Calaisiens noyautent ces groupes. On le voit bien avec les micromanifestations des identitaires où ne sont toujours présents qu'une poignée de gens d'ici », nuance Jean-Claude Lenoir. Cet enseignant à la retraite se réjouit que 95% des dons, qui ont permis à son association, Salam, de distribuer pendant treize ans des repas aux exilés, provenaient des Calaisiens.

    Alors que le revenu par foyer est de 41 % inférieur à la moyenne nationale, que le taux de chômage s'élève à 17 % et qu'un quart des ménages vit au-dessous du seuil de pauvreté, ici on donne à plus pauvre que soi. Les « sociétés de secours mutuel » - qui s'y sont généralisées dès 1848, sur le terreau des sociétés de bienfaisance britannique - ont laissé une empreinte durable sur la capitale de la dentelle. Et la solidarité n'est pas un vain mot dans cette ville qui a connu trente-sept ans de communisme municipal, avant l'élection, en 2008, de Natacha Bouchart.

    Le Calaisien en veut en fait moins au migrant, victime comme lui de la situation, qu'aux hommes politiques nationaux qui ont embarqué la ville dans une guerre sans fin.

    23-01-2016

    [...] En mettant l'accent sur les faits divers, alors que la délinquance est en baisse de 5% en 2015, les médias ont fait croire que Calais était à feu et à sang. « Désormais, on est marqués au fer rouge, comme Sangatte et son centre d'accueil ou Outreau et son scandale judiciaire », regrette Frédéric van Gansbeke, le représentant des commerçants. « Il faudra des années pour en sortir. »"

    Expulsion du camp Sud de Calais

    L'expulsion du camp Sud de Calais a commencé le 29 février. Elles sont violentes : "jet de grenades lacrymogènes, explosions de bouteilles de gaz dans des cabanes en feu, cris et mouvements de foule... À partir de 15 heures, lundi 29, le chaos et la violence se sont installés dans la partie sud du bidonville" rapporte Maryline Baumard pour Le Monde. Or, "le démantèlement avait été annoncé comme pacifié, ciblant les tentes vides et les abris inoccupés", a commenté Olivier Marteau, responsable du "projet Calais" pour MSF (Médecins sans frontières). "Il a en réalité ciblé tous les logements de la zone 9, densément occupée et habitée, et inévitablement dégénéré en violences, dans un camp où vivent des familles et des enfants", a-t-il déclaré. Pour Christian Salomé, président de L'Auberge des migrants, "sans violence, les politiques ne parviendront jamais à vider le bidonville. Ils le savent et tout est prétexte à faire venir des forces de l'ordre. Qu'ils aient au moins l'honnêteté de le reconnaître".

    Démantèlement de la "Jungle" sous haute sécurité policière le 2 mars 2016 à Calais - AFP

    Dès lundi, explique Maryline Baumard pour Le Monde, "personne ne savait où se dirigeaient ceux qui avaient vu leurs cabanes s'écrouler sous leurs yeux. « Ils n'ont nulle part où aller. On va en retrouver à errer ici ou là » , déplore Maya Konforti, qui est membre de l'association L'Auberge des migrants. « Sur le morceau de papier qui a été donné aux migrants de la zone évacuée, était proposé ou bien de rejoindre le centre d'accueil provisoire, composé de conteneurs, ou bien de prendre le car à 16 heures pour partir loin de Calais et du rêve de passer en Grande-Bretagne, ou encore d'aller sous les tentes bleues qui sont beaucoup moins confortables que la plupart des maisons détruites », ajoute-t-elle. Seules 43 personnes sont montées dans les bus, et la plupart ne provenaient pas de la zone évacuée.

    [...] Beaucoup d'humanitaires, qui s'épuisent sur le lieu depuis des mois à construire ces cabanes pour apporter un peu de confort aux exilés, avaient du mal à calmer leur colère et parlaient de « dégoût » face à l'opération du jour. Julie Bonnier, l'avocate qui avait plaidé le recours des associations et des migrants devant le tribunal de Lille, a, elle, lu dans cette violence que « l'acte prétendument humanitaire de l’État était une pure opération de communication visant à masquer l'objectif unique de vider ce bidonville installé par l’État. Au détriment de milliers de personnes vulnérables. »"

    Par ailleurs, dans Le Parisien du 9 mars, Delphine Perez rapporte que "l'école de fortune qui s'est montée dans la jungle ne devait pas être démolie lors du démantèlement du camp de migrants, selon un jugement du tribunal administratif de Lille datant du 25 février. Mais sur le terrain les CRS, déployés en nombre, filtrent, voire bloquent son accès. « Non seulement les enfants ont peur des policiers, mais surtout les forces de l'ordre rendent l'accès à l'école très difficile et le bloquent par intermittence. C'est au bon vouloir des chefs d'équipes. Le sous-préfet, interpellé sur la question par une de nos enseignantes, lui a répondu "de ne pas faire attention aux CRS" ! Comme si c'était possible ! » s'exclame Virginie, une orthophoniste, qui donne des cours bénévolement".

    Cette situation a conduit à partir du 2 mars huit Iraniens à défiler dans le bidonville en portant des pancartes "where is your democracy ?", la bouche cousue, pour dénoncer la destruction de leurs frêles abris.

    2-03-2016

    Désespoir rendu tangible par l'art

    Un film, Illégal, réalisé par Olivier Masset-Depasse en 2010, et une œuvre théâtrale mêlant opéra et cirque, Daral Shaga, créée en 2014 par la compagnie Feria Musica, permettent de comprendre pleinement le désespoir des réfugiés que l'Europe repousse. Ils ont entre autres avantage d'incarner les "réfugiés" et "migrants", termes qui déshumanisent les personnes qui fuient des situations dramatiques.

    Le film Illégal, réalisé par Olivier Masset-Depasse en 2010, met en scène Tania, une Russe qui vit clandestinement en Belgique avec son fils Yvan. Elle redoute les contrôles de police, jusqu’au jour où elle est arrêtée, séparée de son enfant, détenue dans un centre de rétention administrative et menacée d’expulsion. En reconstituant l’univers d’un centre de rétention administrative, le réalisateur décrit le désespoir d’individus broyés par la violence d’un système implacable. Olivier Masset-Depasse explique pour RFI qu'il a eu l'idée de ce film en voyant "un reportage diffusé à la télévision. J’ai entendu des mots comme « prisons pour enfants, prisons pour innocents ». J’ai aussi découvert qu'il y a un centre de rétention pas loin de chez moi. J’ai ressenti un profond malaise. Une obsession est alors née en moi : j’ai voulu savoir ce qui se passe derrière ces grilles." Il y a "vu pas mal de choses, principalement le désœuvrement et la pression. Dans les témoignages que nous avons récoltés, les gens nous disaient « notre vie s’est arrêtée. C’est le purgatoire »".

    Opéra circassien pour trois musiciens, trois chanteurs et cinq acrobates, Daral Shaga chante la beauté et la violence de l’exil. L’œuvre parle d’émigrés qui cherchent l’eldorado au péril de leur vie et se voient face à la nécessité de franchir un mur. Ce mur sépare deux mondes et prive les exilés de leur liberté. En le passant, les voyageurs perdent en effet une part de leur identité. Spectacle visible intégralement sur Szenik Live.

     

    « AmazonPhilip Jones Griffiths, un photojournaliste engagé influent »

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :