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Sutures, David Small
Comment traduire manque d'amour, solitude et silence dans un roman graphique ?
À 67 ans, David Small, illustrateur pour le New Yorker, le New York Times, le Washington Post, Esquire et Playboy, auteur et illustrateur de livres pour enfants, a publié un roman graphique autobiographique dans lequel il raconte son enfance dans l'Amérique étouffante des années 50. On peut voir les premières planches sur Bdgest.
Comme l'indique son titre, Sutures est le récit d'une plaie douloureuse - une enfance en manque d'amour et d'attention - refermée mais laissant des traces.
À cinq ou six ans, David sait déjà que la seule manière d'attirer l'attention de son père, médecin, c'est d'être malade. Problème : pour soigner un kyste au cou, celui-ci prescrit à David des séances intensives de radiographie. Quelques années plus tard, le kyste de David est devenu un cancer. Suite à l'intervention, il reste un certain temps totalement muet. Ce handicap l'oblige à passer par les dessins pour s'exprimer et se faire comprendre. Ça l'arrange : depuis son enfance, il s'est toujours réfugié dans le dessin, surtout pour échapper à l'ambiance familiale pesante où tout le monde se tait.
De ce fait, la communication passe par les bruits et les expressions des visages des personnages, de leurs yeux en particulier. Par exemple quand David ose avouer à mère, venue le rejoindre dans la maison où le garde sa grand-mère maternelle, que celle-ci est folle.
Une mère aigrie, un père lointain, un grand frère moqueur, une grand-mère sadique... Et pourtant, le récit de David Small ne se fait pas accusateur. Subtil et émouvant, Small met en scène la tension psychologique qui l'entourait. Il pose un regard d'adulte sur son histoire, cherchant à comprendre la solitude de son enfance. Il y a même une forme de compréhension pour ses parents qui l'ont peu, mal ou pas aimé. Ainsi, lors de l'émouvante scène où son père parvient enfin à lui avouer la vérité après s'être tu pendant des années : c'est de sa faute s'il a développé un cancer.
Et à la fin de son adolescence, il découvre une scène lui permettant de comprendre la colère de sa mère : homosexuelle ne pouvant s'assumer comme telle dans une Amérique conservatrice qui n'envisage pour une femme que le rôle de mère au foyer, elle en veut à toute sa famille.
Le dessin, sobre, puissant, enlevé, est une alternance de petits crayonnés, de pleines pages à l’aquarelle dans des teintes gris/noir, des visuels aux découpes variées faisant évoluer les personnages. La mise en scène est fluide, avec un sens du rythme remarquable, en particulier dans les planches sans paroles. La différence de taille des cases accentue les émotions. Ainsi son trouble qui tourne au cauchemar éveillé lorsque dans une de ses balades dans l'hôpital où travaille son père, il découvre un fœtus dans un bocal.
Ce récit cathartique est cinématographique comme en témoigne un montage vidéo montrant cinq scènes extraites de Sutures.
Tags : Savid Small, sutures, roman graphique, autobiographie
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